Récit
Saigné à blanc par des luttes intestines, d'interminables guerres et
plusieurs confrontations sanglantes avec le seigneur Anomander Rake et
ses Tistes Andii, le tentaculaire Empire malazéen frémit de
mécontentement. Les légions impériales elles-mêmes aspirent à un peu de répit.
Pour le sergent Mésangeai et ses Brûleurs de Ponts, ainsi que pour Loquevoile,
seule mage survivante de la 2ème armée, les contrecoups du siège de
Pale auraient dû représenter un temps de deuil. Mais Darujhistan, la
dernière des Villes libres de Genabackis, tient encore et toujours bon
et l'ambition de l'Impératrice Laseen ne connaît aucune limite.
Cependant, il semble que l'Empire ne soit pas la seule puissance
impliquée. De sinistres forces sont à l’œuvre dans l'ombre, tandis que
les dieux eux-mêmes se préparent à abattre leurs cartes...
Autour du livre (ou l'introduction à ma critique)
Avis de non objectivité
Il s'agit de ma quatrième lecture de ce tome, donc autant annoncer la couleur de suite : ce livre, c'est de la bombe. Achetez-le, lisez-le, vivez-le ! Faites vous happer par ce récit plein de magie et de fureur.
Un poil excessif ? Que nenni. Mais au moins, maintenant, vous savez que cette chronique sera totalement partiale, ne serait-ce que parce que ça fait un peu plus de 10 ans que j'attends la traduction des autres tomes de la saga (le troisième devrait arrivé pour mai 2019... Youpi !).
Par ailleurs il s'agit de ma série de Fantasy préférée, parmi toutes celles que j'ai eu l'occasion de découvrir jusqu'à ce jour. Le décor est donc planté, place à l'action.
Historique (et futur) de la saga en France
Le Livre des Martyrs, anciennement dénommé Le Livre malazéen des glorieux Défunts est un best-seller outre-Atlantique, traduit dans 21 langues qui plus est. Les deux premiers tomes ont subis respectivement deux et une éditions en français mais réalisées par des éditeurs « généralistes » qui n'ont manifestement pas su (voulu ?) communiquer sur leurs parutions.
Au final, seuls les 2 premiers tomes ont été traduits en français, et aucune parution des tomes suivants n'était prévue.
Pis, le double échec éditorial, malgré le peu de publicité faite alors, ainsi sans doute le fait qu'il s'agisse d'une décalogie ont rendu le projet trop incertain pour l'ensemble des éditeur spécialisés en fantasy ces 10 dernières années (enfin c'est ce qu'elles répondaient quand on les harcelait pour relever le flambeau).
Jusqu'à dernièrement en tout cas car les éditions Léha, peut-être parce que toute jeune et ayant donc un nom à se faire, relèvent le défi et s'apprêtent à publier les 10 tomes de l'arc principal de Steven Erikson.
Les éditions Léha ont donc pour objectif de (re)traduire les 10 romans, à hauteur d'un tous les 6 mois (avec 2 traducteurs se relayant d'un tome à l'autre). Un rythme intense mais qui a le mérite de pouvoir coller les lecteurs à la sortie des différents tomes, sans sortir de leur tête. Un vrai plus à mon avis.
Peut-être qu'on pourra même avoir les autres romans de l'univers plus tard (cf. en fin de chronique pour le détail des parutions dans l'univers), on peut toujours espérer, surtout si le succès de vente pour ce premier tome se confirme sur les tomes ultérieurs.
Étude comparative
Ayant lu les 3 éditions de ce premier tome, voici les quelques différences que j'ai pu voir.
Vous pouvez sauter directement au point suivant qui parlera de la critique proprement dite, cela dit, quitte à avoir lu les 3 éditions, autant vous conforter dans l'idée d'acheter la nouvelle, quelques arguments à l'appui.
Traduction
Comparativement aux 2 anciennes éditions, la traduction a été totalement reprise, avec
des choix de traduction totalement différent. N'étant nullement qualifié
pour disséquer les choix de traductions, tant d'un point de vue style
en français que d'un point de vue traduction depuis l'anglais, je ne
peux que dire que cela change la saveur de certains passages.
Parfois en mieux, la traduction des sobriquets qui servent de nom dans l'armée
malazéenne donne une saveur particulière - notamment en cherchant à
comprendre d'où ils peuvent venir / ce qu'ils peuvent signifier / ce
qu'ils disent sur le personnage.
Parfois en moins bien, la
traduction de la manifestation de la magie (warren en anglais) de
labyrinthe (ancienne édition) à garenne (nouvelle édition) m'a semblé
bien moins visuelle et moins adaptée. Peut-être est-ce plus proche du
vrai sens que voulait donner Steven Erikson (la traduction étant faite
par 2 passionnés de la saga), mais ça me semble moins parlant sur les 2
premiers tomes existant.
Dans tous les cas, les
nouveaux choix de traduction ne m'ont pas spécialement gêné, sauf pour
les noms des personnages, où j'ai du faire le recollement entre qui est
qui par rapport aux anciennes éditions (enfin gêné est un bien grand mot).
Coquilles
Je ne suis clairement pas à la recherche d'icelles lors de mes lectures,
mais la première édition en avait et la seconde édition en était
truffée. Au point que j'ai revendu ma seconde édition immédiatement
après lecture, la première étant clairement plus digeste.
Sur ce
point, cette nouvelle édition n'en n'est pas exsangue, mais dans une
très large moindre mesure. Ça fait plaisir de voir un traitement du
texte plus en phase avec la qualité de l'écrit.
Au fil de la lecture
Un dernier point, et non des moindres, c'est la présentation des éléments
dans le livre. Si le chapitrage et les extraits de textes obscurs, qui
ne trouvent lien avec le chapitre qu'ils introduisent qu'à la fin de la
lecture de ce dernier, sont similaires pour l'ensemble des éditions, il
est un élément qui parait bête, simple, c'est les séparations mises en
place lorsque, au sein d'un même chapitre, on change d'acteur, de lieu
ou de temps.
Croyez-le ou non, mais dans les anciennes éditions,
rien ne séparait physiquement ces changements si ce n'est un saut de
paragraphe. Au lecteur de prêter attention et de resituer les éléments
lors de leur lecture.
Dans la nouvelle édition, ces changements
sont signalés par une triple astérisque. Ça n'a l'air de rien comme ça, mais lors de cette lecture, j'ai été
étonné de sentir que je trouvais cette dernière plus simple, plus fluide
que lors de mes précédentes lectures (et comme ça doit faire environ 10 ans que je ne l'avais pas relu, ce n'étaient pas liés aux souvenirs... Enfin pas plus que lors des précédentes relectures).
Et ce n'est qu'en remarquant ce point, que je me suis souvenu que J.-Ph. Mocci (fondateur des éditions Léha) m'avait fait remarqué ce point.
Et donc oui, le simple fait de marquer ces changements rend
beaucoup plus fluide la lecture et décharge le cerveau de ce qu'il a à traiter
dans le cadre de la lecture. Et ça c'est quand même plus que bien vu l'univers et l'histoire en présence.
Suite à demande, vous pouvez voir une retranscription d'un passage dans la 1ère et 3ème édition pour vous faire une idée plus concrète (garanti sans spoil).
Bref, à choisir, prenez cette nouvelle édition qui est meilleur sur bien des points - sans vouloir entrer dans le débat du choix de traduction de différents termes (oui parce-que Violain, c'est sympa, mais je préférai Crincrin... Ah oui, j'avais dis que je ne rentrai pas dans le débat).
Impression
Après ces digressions, parlons du livre, et pour commencer de sa couverture.
L'illustrateur a fait un boulot exceptionnel, retranscrivant parfaitement l'atmosphère associée à la scène en question (le siège de Pale, vous verrez, vous y arrivez rapidement).
Y ressentez vous l'oppression du conflit, le gigantisme ? Et bien gardez cela en tête car ce livre n'est que gigantisme (je vous ai dit que je ne serai pas objectif).
Par ailleurs, je vous laisse vous faire une idée sur quelle est la couverture la plus belle entre les 3 éditions françaises :
Je parlais donc de gigantisme...
Personnages
Gigantisme pour commencer par le nombre de protagonistes « importants » entrant en jeu. Par important, il faut comprendre qui ont une réelle influence sur l'histoire.
- L'Empire malazéen en premier lieu, envahisseur cherchant à conquérir le continent.
- Les locaux qui cherchent à résister à l'Empire.
- Les Tiistes Andiis et Sangdelune, la jolie lune flottante que vous pouvez apercevoir sur la couverture.
- Mais aussi des dieux (oui au pluriel) qui veulent intervenir directement ou par le truchement de « représentant » plus ou moins volontaires.
- Et d'autres encore, mais je vous en laisse la surprise.
Bref, une véritable palette de personnages importants. Ça peut constituer une difficulté, mais chaque personnage possède bien sa vie propre, ses qualités et défauts, sa manière d'être.
Par ailleurs, il est à noter en fin de livre un lexique / guide des factions qui pourra rapidement resituer certains personnages en cas de besoin.
D'ailleurs, ne vous attendez pas à
découvrir un héros en devenir, dont une quête l'attend pour éveiller ce
quelque chose d’exceptionnel qu'il a en lui. On y croise de jeunes innocents en devenir certes. Mais aussi et surtout des vieux briscards brisés par la vie, des hommes et femmes au sommet de leur art, et possesseurs de doses de cynisme assez jouissives.
Gigantisme dans le traitement des puissances en jeu.
« Le pouvoir appelle le pouvoir » est un des credos mis en application dans ce livre. Et chose remarquable, les plus puissants présents ne sont jamais sans équivalents en terme de puissance. Enfin en terme de puissance brute peut-être, mais comme tout est affaire de circonstances... Nous n'assistons donc pas à l'arrivée d'un deus ex machina, alors que pourtant, des dieux entrent dans l'arène... et n'en sortent pas nécessairement indemne. C'est un des points que j'ai particulièrement apprécié. Si l'on cherche à s'impliquer, on prend des risques dans ce monde. Cet adage s'applique aux plus faibles comme aux plus puissants.
Gigantisme aussi, vis à vis du traitement de l'histoire.
Des histoires dans les histoires. Des intrigues politiques qui s’emmêlent les unes aux
autres, des stratégies à tiroirs, des allégeances changeantes, les
traîtrises qui jaillissent pour retomber en laissant un goût de suspens sur
comment l'ensemble de l’œuvre va en être affecté.
Quel amusement, quel plaisir que de voir un détail précédemment remarqué
prendre forme ? Que tel autre, passé dans l'oubli, ressort nous imposant
un retournement de situation puissant comme un 33 tonnes sans freins,
et qui pourtant, a toujours été là, en filigrane, en arrière plan...
Bref, une histoire pleine de faux-semblant, pleine de plans qui ne survivent pas à l'engagement et pleine de rebondissements à
vous faire de multiples entorses au cerveau.
Amateurs d'intrigues, vous serez servis.
Gigantisme enfin question univers, on l'on est encore bien servi (ou à tout le moins on peut facilement présumer de la portée gigantesque de celui-ci sur la base de certains prémisses exposés).
Mais autant avertir, on entre en direct dans le monde. Je suis adepte du procédé, mais ici personne ne va vous tenir la main pour découvrir l'univers. Pas d'inquiétude, on le découvre au fur et à mesure, en partant sur la base d'un monde médiéval fantasy classique, on n'est pas spécialement dépaysé. Puis les actions des différents personnages nous font découvrir le monde, ses spécificités, les forces en présence.
Enfin on goûte au système de magie de cet univers, les fameuses garennes. À la fois totalement intégrées dans l'univers, faisant directement parti de la réalité tout en y étant pas.
Source de la magie personnelle des mages et sorciers (qui ouvrent une porte vers la garenne et mettent en forme l'énergie magique qui en sourd) mais aussi domaine d’existence que l'on peut parcourir et traverser.
Évidemment plusieurs types de garennes existent, fournissant des pouvoirs associés à son domaine même si l'ensemble reste mystérieux à souhait, vu qu'on ne tombe pas sur un cours de magie magistral (on est plutôt sur le genre « travaux pratiques »).
Ainsi plusieurs grands types de garennes émergent :
Ah oui, il était d'usage de dire que ce tome est difficile d'accès. Flamboyant ou que sais-je encore mais difficile. C'est moins le cas.
Évidemment, les intrigues vous demanderont de la concentration tant un élément mentionné 150 pages plus tôt peut être un indice important qui vous fera dire « mais bien sûr, pourquoi je ne l'ai pas vu venir ».
Évidemment, il faut savoir jongler avec le nombre de personnages et les intrigues qui les relient entre eux.
Mais pourtant ce n'est clairement pas l'un des livres les plus exigeants que j'ai pu lire. Et l'une des raisons qui fait que ce qui se disait sur ce point est à mon sens caduque, c'est la séparation des changements de points de vue / de personnages évoqués plus haut. Un changement de peu mais qui rend l'ensemble beaucoup plus lisible et structuré. Et ça se sent énormément (cf. un exemple retranscrit ici - garanti sans spoil).
Un 20/20 pour ce tome.
Fan de cette saga, et de ce tome en particulier, vous ne vous offusquerez pas de cette note, surtout au regard du fait que j'aime les livres présentant des intrigues complexes.
Ici un nouvel univers vous tend les bras. Complexe, riche, et ô combien bien construit. Pénétrez avec moi dans ce superbe univers ! Laissez-vous tenter, vous ne serez pas déçu.