La Maison des chaînes - Le Livre des Martyrs, tome 04 / Steven Erikson

Couverture livre - critique littéraire - La Maison des chaînes, tome 4 du Livre des Martyrs de Steven Erikson

Récit

Au nord de Genabackis, un groupe d’incursion mené par trois guerriers teblors descend de la montagne dans le but de ravager les plaines méridionales occupées par les basse-terriens qu’ils honnissent. Pour le dénommé Karsa Orlong, ce raid marquera le début d’une extraordinaire destinée.

Quelques années plus tard, Tavore, la nouvelle Adjointe de l’Impératrice, débarque dans le dernier bastion de Sept-Cités encore aux mains des Malazéens après les événements dramatiques de la Chaîne des Chiens. Nouvelle à son poste de commandement, elle devra aguerrir douze mille soldats fraîchement recrutés pour la plupart — à l’exception d’une poignée de vétérans ayant survécu à la légendaire marche de Coltaine — afin de former une armée capable de renverser les hordes de l’Apocalypse qui se terrent au cœur du Saint-Désert.
Tandis que les Grands Prêtres et les généraux de Sha’ik se livrent à une lutte de pouvoir qui menace l’âme même de la Rébellion, d’obscures forces se rassemblent autour de Raraku et de son mystérieux Tourbillon.

Dans le Naissant, Onrack, un T’lan Imass perdu, libère de ses fers le Tiste Edur Trull Sengar, abandonné et banni par ses semblables ; tous deux vont dès lors se lancer dans une longue odyssée pour rejoindre leur domaine d’origine.

Sur Avalii la dérivante, une sanglante confrontation ravive les inimitiés qui règnent entre les trois garennes primordiales, forçant Ammanas et Cotillon à sortir de leur réserve. Et au cœur de Kurald Thyrllan, les Tistes Liosan sont aux abois : Osric, leur dieu, a disparu, et personne ne semble savoir où il est.

Un terreau propice à l’avènement de la Maison des Chaînes du Dieu Estropié qui, en secret, poursuit son inquiétant recrutement...

Impression

Quatrième tome de cette décalogie, nous voici faisant suite aux évènements ayant eu lieu dans Les Portes de la Maison des morts, c’est-à-dire le seconde tome. Car oui, Erikson semble vouloir se faire suivre 2 trames entre numéros pairs et impairs. La suite nous dira si ce schéma reste vrai.

Ce qui est sûr, c'est que dans le cadre du récit, l'auteur ne fait pas de redite. En effet, pour les grandes trames (très grosses mailles vu la densité des différents récits) :

  • Dans le premier tome, nous avions le droit à une bataille dantesque pour la prise d'une cité suivie d'une mission d'infiltration dans un panier de crabe.
  • Dans le second tome, c'était l'insurrection de Sept-Cités qui étaient à l'honneur avec principalement le périple d'une armée en fuite, son courage et tout ce qui tenait de l'épique à l'honneur.
  • Dans le troisième tome, c'était une guerre totale qui y était décrite, avec son lot de massacres et de résistances épiques.
  • Dans ce quatrième tome, on est sur la montée de tension liée à l'approche de grands événements, ainsi que la découverte d'un nouveau personnage qui possède à lui seul une bonne partie du récit - fait qui n'était jamais survenu jusqu'à présent.

Pas de doute, en termes de structuration du récit, Erikson sait varier les plaisirs.

Karsa Orlong

Karsa Orlong

La première partie du récit (les 250 premières pages quand même) ne concerne que la découverte de Karsa Orlong, un teblor (ou Telomen Toblakaï suivant les régions) avant de rejoindre les autres trames narratives de ce tome.
Karsa est un guerrier rude, malsain même, totalitariste pour lequel les valeurs comme tuer son ennemi, violer ses femmes et ne faire montre d'aucune faiblesse va de soi et doit s'imposer aux autres. Aux autres teblors d'ailleurs car il ne fait pas de doute que les humains qui ne sont pas trop loin de leur territoire ne sont considérés que comme du gibier et qu'il s'est mis en tête d'aller en massacrer pour l'honneur de ses dieux.

On a donc un personnage qui stigmatise totalement l'anti-héros, que l'on devrait détester et qui pourtant, dans son traitement par Steven Erikson se voit entouré d'une aura qui arrive à nous le faire apprécier (à défaut d'aimer) malgré ces quelques menus défauts - d'autant plus qu'on voie assez rapidement le fait qu'il se fait manipuler par de nombreux protagonistes.

Sept-Cités

Tavore Paran

En second lieu, nous nous retrouvons avec l'ajointe Tavore Paran, sœur de Ganoes qu'on a beaucoup rencontrée dans les tomes 1 et 3, mais aussi grande sœur de Félisine alias Sha'ik réincarnée, alias la chef de la révolte de Sept-Cités.

Dans cette partie, nous assisterons à la montée de la pression pour le futur affrontement entre les Malazéens (armée mal préparée et surtout inexpérimentée) et les insurgés (armée de vétérans mais rassemblant divers clans / tribus qui ne sont pas particulièrement copains comme cochons) avec pour chapeauter l'ensemble cette lutte sororicide.


Raraku

Un « personnage » émerge de plus en plus dans le roman, c'est le désert Raraku lui-même, notamment au travers de ce qu'il est réellement et de comment chacun veut l'utiliser. En effet, le désert n'est clairement pas un désert classique. Siège de la naissance du Tourbillon. Celui par qui les Brûleurs de Ponts ont été formés. Ce livre dévoile un petit pan de son histoire.

Raraku et le mur de sable de Dryjhna

Ça donne quoi alors ?

Et bien que du bon. Malgré tout ce que les 3 premiers tomes ont pu nous apprendre, force est de constater qu'on n'a fait qu'effleurer le contenu du background de cet univers. Et clairement, on voit qu'il se forme sur plusieurs (centaines de) millénaires et que les implications des premiers peuples sont encore en train de se jouer aujourd'hui.

Toujours le plaisir de voir les Dieux traités au même rang que les humains (comprendre que s'ils s'impliquent ils risquent gros, et que ceux qui ne font rien... peuvent se retrouver pris dans les plans d'un autre).

Le récit est plus lent que les précédents. On y voit monter la tension épique touche par touche. Et quelque part je trouve que c'est très bien joué. En effet, on a eu la marche de Coltaine pour la partie épique... là, la marche de Tavore nous apporte une tension qui monte et parrallèlement, on ne peut s'empêcher d'avoir en tête la Chaîne des chiens, et c'est ce qui rend cette tension tellement palpable, comme un fantôme qui suit la XIV armée.
Et le tout mâtiné de combats splendidement retranscrits et d'une bataille finale pleine de rebondissements.

L'histoire qui sous-tend la décalogie commence à se préciser : la lutte pour la survie de ce monde face aux forces que le Dieu Estropié met en branle, tout en étant rendue plus floue par l'interdépendance des inimitiés qui existent entre les grandes puissances. Et ce sans parler des intentions de chacun qui, tout en restant les mêmes, selon l'éclairage peuvent paraître plus ou moins légitimes, plus ou moins justes.
Les intrigues sont donc toujours de la partie, même si ce tome en apporte moins que les précédents tomes, sans doute lié au caractère de notre teblor qui a tendance à trancher dans le vif... même s'il n'est pas le dernier à y contribuer paradoxalement.

Enfin, ça devient une habitude, une sublime couverture vient parachever cette œuvre. On ne peut que remercier Marc Simonetti pour la beauté des couvertures qu'il produit pour cette édition.

Note

Un 20/20 pour ce tome.

Ce tome, plus lent que les précédents, manie principalement la tension qu'il fait naître chez le lecteur, nous précipitant petit à petit vers une situation qui nous semble inexorable. Une partie très réussie, sans compter l'histoire qui s'étoffe toujours plus, des intrigues qui se nouent et se dénouent et cette capacité de l'auteur à nous faire aimer ses personnages, même les plus odieux.
La découverte de l'univers continue de nous surprendre et est toujours un régal.

Au final, je ne peux que vivement vous encourager à lire cette saga et ce tome. Du plaisir à l'état pur.
Complexe, riche, et ô combien bien construit. Continuez avec moi dans ce superbe univers !

Série : Le cycle malazéen

Le livre des Martyrs

  1. Les Jardins de la Lune (avis)
  2. Les Portes de la Maison des morts (avis)
  3. Les Souvenirs de la glace (avis)
  4. La Maison des chaînes (avis)
  5. Les Marées de minuit (avis)
  6. Les Osseleurs (avis)
  7. Le Souffle du Moissonneur (non lu)
  8. La Rançon des Molosses (non lu)
  9. Poussières de rêves (prévu 2022)
  10. Le Dieu estropié (prévu 2022)

The Kharkanas Trilogy

  1. [Forge of Darkness (non traduit)]
  2. [Fall of Light (non traduit)]
  3. [Walk in Shadow (en cours d'écriture)]

Novels of the Malazan Empire

  1. [Night of Knives (non traduit)]
  2. [Return of the Crimson Guard (non traduit)]
  3. [Stonewielder (non traduit)]
  4. [Orb Sceptre Throne (non traduit)]
  5. [Blood and Bone (non traduit)]
  6. [Assail (non traduit)]

La Voie de l'Ascendance

  1. La Complainte de Danseur (non lu)
  2. [Deadhouse Landing (non traduit)]
  3. [Kellanved’s Reach (non traduit)]
  4. [The Jhistal / Forge of the High Mage (forthcoming)]

The Witness Trilogy

  1. [The God is Not Willing (non traduit)]
  2. [No Life Forsaken (forthcoming)]
  3. [- (forthcoming)]

Tales of Bauchelain and Korbal Broach

  1. [Blood Follows (non traduit)]
  2. [The Healthy Dead (non traduit)]
  3. [The Lees of Laughter's End (non traduit)]
  4. [Crack’d Pot Trail (non traduit)]
  5. [The Wurms of Blearmouth (non traduit)]
  6. [The Fiends of Nightmaria (non traduit)]
  7. [Upon a Dark of Evil Overlords (non traduit)]
  8. [Goats of Glory (non traduit)]


Mordre le bouclier - Chien du heaume, tome 2 / Justine Niogret

Couverture livre - critique littéraire - Mordre le bouclier de Justine Niogret

Récit

Castel de Broe, six mois ont passé depuis la mort de Noalle et Chien du heaume, anéantie par la perte de ses doigts, s’abîme dans la contemplation de sa griffe de fer, cadeau de Regehir le forgeron.

Bréhyr entend lui redonner vie et l’entraîne sur les routes à la recherche du dernier homme qu’elle doit tuer : Herôon. Parti en Terre sainte, celui-ci reviendra par le Tor, une tour mythique où le monde des vivants s’ouvre à celui des morts.

Les deux guerrières remontent alors le sillage de sang, de larmes et de pourriture des croisades, arpentant côte à côte la voie de la folie et de la vengeance.
Dans ce calvaire, Chien rencontrera Saint Roses, chevalier à la beauté d’icône, au savoir de maestre et dont la foi s’est érodée au pied des hautes murailles de Jérusalem. Une faible lueur qui annonce peut-être un espoir de rédemption.

Impression

Second tome d'un dyptique (cf. ici pour la critique du premier tome), la lecture du premier tome est indispensable. En effet, ce second tome reprend quelques mois après la fin de Chien du Heaume pour poursuivre l'histoire de la quête.

Dans ce second tome, on reste avec une histoire et une écriture dure et sans concession.
Les personnages restent particulièrement complexes, et même plus puisqu'on va pouvoir les voir aller jusqu'à leurs points de rupture psychologiques et voir ce qu'il en résulte.
Néanmoins on change de registre dans la façon dont l'histoire est contée. Finie le récit de morceaux de vie qui suivent un fil directeur. On rentre dans quelque chose de plus classique : cette fois-ci, on suit une intrigue d'un bout à l'autre.
Plus de passage de vie qui s'organisent autour d'un même fil rouge sans autre soucis que d'arriver à Chien du Heaume. Non, ici on suit sa quête réelle jusqu'à son terme. On est donc retourné dans un style de narration plus classique, ce qui n'est pas forcément un mal car, après le premier tome, on avait découvert déjà pas mal de chose sur le personnage ; même si on découvre toujours un peu plus Chien dans ce tome.

Dans ce tome, on met l'accent sur les limites des différents protagonistes. Que cela soit Chien, la Salamandre et Bréhyr que l'on a découvert dans le précédent tome, ou de nouveaux comme Saint-Roses et sa compagne de route.
Tous ont en commun d'être arrivé au point de rupture et le traitement de comment on en sort après cela est à la fois complexe mais bien amené - notamment par l'action qui évite de se morfondre dans une simple psychologie de personnages.

Question scénario, ce n'est clairement pas le point fort de ce roman. Le récit est somme toute très linéaire, et l'on a le temps de voir les choses arrivées.
On peut même considérer que ce dernier est très capilo-tracté car je n'ai clairement pas vu ce qui permettait tant d'assurer à chaque protagoniste la certitude de trouver sa Némésis si ce n'est une attitude mystique et fataliste encore plus prononcée que dans le premier tome.

Question background, on est sur une période moyenne-âgeuse, avec l'univers dur et rustre qui y est associé. Le côté Fantasy apparait plus dans ce second tome en partie sous la forme divinatoire, mais aussi en accompagnement de la folie, ce qui la rend difficile à distinguer des simples délires... mais ces derniers ayant des conséquences, difficile de ne les laisser qu'au coin des rêves animés.

Enfin, la plume de l'auteur est toujours aussi vive et acérée. L'atmosphère est clairement soutenue par cette écriture qui sait manier onirisme et réalisme du plus bas étage.

Note

Un 15/20 pour ce livre.

Cette suite est moins entrainante que le premier tome. On y perd principalement en revenant à un système de narration plus classique, ce qui est d'autant plus souligné que le scénario n'est toujours qu'une annexe à la découverte des personnages et de leur cadre de vie.

Un livre à lire principalement parce qu'il est la suite du précédent tome, et que ça serait dommage de ne pas connaître la fin, mais qui, même s'il est bon, est un ton en dessous du premier.
Mon conseil : lisez les deux l'un à la suite de l'autre. Ainsi vous n'aurez pas la perte de plaisir lié à un livre moins novateur que le précédent puisque, somme toute, ce n'est que la suite de la première histoire.

Série : Chien du heaume

  1. Chien du heaume (avis)
  2. Mordre le bouclier (avis)